RÉDIGÉ PAR Raphaël

25/03/2016

Quel avenir pour les traducteurs professionnels au vu des avancées dans le domaine de la traduction automatique ?

D’ici quelques années à peine, vous pourrez, grâce à la révolution numérique, converser en direct avec n’importe quel citoyen du monde ou traduire en direct n’importe quel texte rédigé dans une autre langue. […] Pour ceux dont c’est le métier, traducteurs et interprètes, ce sera le risque de tomber au chômage. […] Comme tout ce chambardement est prévu pour 2025, au plus tard, les interprètes et traducteurs ont quelques années pour s’y préparer et agir…

Amid Faljaoui

Février 2016

Directeur des magazines francophones du groupe Roularta

C’est en ces termes que M. Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones du groupe Roularta, conclut sa chronique économique sur la traduction

Alors, qu’en est-il vraiment ? Les métiers de traducteurs et interprètes sont-ils réellement voués à disparaître ?

Force est de constater que, ces dernières années, la technologie a envahi le quotidien des experts en langues.

« Logiciel de traduction assistée par ordinateur », « bases de données terminologiques » ou encore « mémoires de traduction » sont des termes utilisés régulièrement par les linguistes professionnels. Cependant, ces outils ont pour fonction d’assister le traducteur dans sa tâche, et non de le remplacer.

L’émergence de l’intelligence artificielle ne risque-t-elle pas de changer la donne dans les prochaines années ? Récemment, une machine a réussi à remporter divers jeux de stratégies sans même en connaître les règles ! Alors pourquoi ne réussirait-elle pas — dans un avenir plus ou moins proche — à effectuer des traductions de qualité ?

Pour répondre à cette question, nous ferons une analyse en trois points :

  1. Examen de la situation actuelle : nous traiterons des outils actuels utilisés par les traducteurs professionnels et parlerons des dernières innovations ;

  2. Définition concrète de l’intelligence artificielle : nous présenterons les dernières innovations en la matière et déterminerons ses limites ;

  3. Recherche du lien qui existe entre l’homme et la machine, ainsi que son évolution potentielle.


La situation actuelle

Traducteurs et interprètes : des métiers différents, des enjeux distincts !

Nous avons déjà abordé les différences entre traducteurs et interprètes dans un précédent article. En quelques mots, ces deux métiers sont différents et exigent des compétences distinctes. Le traducteur transpose les messages écrits ; l’interprète, quant à lui, adapte un discours oral.

Dans cet article, nous nous concentrerons sur la traduction. Pour parler du futur de la traduction, il faut comprendre son présent et plus particulièrement les technologies actuelles utilisées par les traducteurs.

Les technologies actuelles du traducteur

Les logiciels de traduction assistée par ordinateur aident le traducteur professionnel, mais ne le remplace en aucun cas.

Aujourd’hui, les traducteurs s’entourent de logiciels de traduction assistée par ordinateur. Attention, il ne s’agit aucunement de logiciels de traduction automatique, tels que Google Translate ou DeepL, mais bien de logiciels d’AIDE à la traduction. L’humain reste bel et bien au centre du processus de traduction.

Alors, que cachent les termes « logiciels de traduction assistée par ordinateur » (TAO: CAT tools, Computer-assisted translation Tools) ? Il existe deux types d’outils :

  • Les mémoires de traduction : elles enregistrent la traduction de chaque segment de phrase dans une base de données. En cas de répétition de la phrase, elles reproduisent alors la traduction. Le traducteur intervient ensuite pour accepter, modifier ou refuser la traduction du segment.

  • Les bases de données terminologiques : elles établissent une liste de mots avec leur définition et le contexte dans lequel ils apparaissent.

Ces outils assistent également le traducteur dans le processus de mise en page du document traduit. Ils permettent au traducteur de livrer un travail soigné, de le terminer plus rapidement, et de respecter les délais imposés.

Les outils de TAO ne doivent en aucun cas être confondus avec les logiciels de traduction automatique. Les premiers assistent les traducteurs, tandis que les seconds les remplacent.

La traduction automatique

Plusieurs acteurs ont investi le marché de la traduction automatique. Le plus connu est bien sûr Google avec son outil Google Translate. Il a toutefois été rejoint le français Reverso et l’allemand DeepL, considéré aujourd’hui comme le service de traduction automatique le plus performant sur le marché. Facebook a également investi dans le domaine tout comme Microsoft, Fujitsu ou Baidu.

Malgré les sommes colossales investies par ces géants du secteur de la haute technologique, la traduction automatique donne des résultats peu satisfaisants. Tant s’en faut !

Erreur de logiciel de traduction automatique

Exemple : voici ce que Google Translate nous propose comme traduction

Actuellement, ces logiciels sont utilisés par Monsieur et Madame Tout-le-Monde pour comprendre l’idée générale d’un texte. En revanche, l’utilisation de logiciels de traduction automatique dans un cadre professionnel est fortement déconseillée, car elle risque de décrédibiliser l’entreprise et d’entacher son image de marque.

Cependant, l’évolution technologique avance à grands pas ! Les acteurs du marché travaillent sans relâche pour améliorer leurs services. D’autant plus que les dernières évolutions en matière d’intelligence artificielle font évoluer les choses…

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L'intelligence artificielle

Qu'est-ce-que l'intelligence artificielle ?

S’il existe une technologie capable de menacer à terme les métiers de traducteur et d’interprète, c’est sans aucun doute l’intelligence artificielle (IA). De quoi s’agit-il ? Selon le Petit Robert, il s’agit d’un « ensemble de théories et de techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…) ».

En d’autres termes, les machines dotées d’une intelligence artificielle seraient capables d’apprendre par elles-mêmes. C’est ce qu’on appelle l’apprentissage automatique ou apprentissage statistique (machine learning en anglais).

En 2015, le programme AlphaGo de Google a, contre toute attente, battu à quatre reprises Lee Sedol, l’un des meilleurs joueurs de go au monde. Pourtant, ce jeu exige une créativité et une imagination importantes.

En 2015, une intelligence artificielle a réussi à battre un humain au jeu de go, un jeu qui demande une créativité importante

Depuis lors, l’intelligence artificielle a fortement évolué. Le dernier exemple en date ? MuZero, le nouveau système d’IA développé par DeepMind. Il peut remporter divers jeux de stratégie (comme le go, les échecs ou le shôgi) sans même en connaître les règles !

Comment le robot de Google accomplit-il un tel exploit ? La méthode utilisée se base sur une approche appelée « recherche par anticipation ». L’algorithme prend trois facteurs en compte avant d’agir : MuZero étudie sa position actuelle, réfléchit à la meilleure action à entreprendre et examine le résultat de sa décision précédente. Tout cela lui permet de s’adapter à un environnement inconnu et anticiper les règles à l’aide de simulations.

Dans le domaine de la traduction, l’IA se base sur une tout autre technique d’apprentissage automatique : l’apprentissage supervisé. Les logiciels de traduction automatique en sont le parfait exemple :

  1. Le logiciel enregistre des parties de phrases, ou des mots, ainsi que leur traduction ;

  2. Sur cette base, il relève des régularités statistiques ;

  3. Le programme se base sur ces régularités statistiques pour déterminer la traduction la plus probable d’un mot, d’une suite de mots ou d’une phrase.

Les outils de traduction automatique disposent donc d’une capacité statistique, contrairement à l’humain qui, lui, dispose d’une capacité analytique. La machine n’est par conséquent pas capable de percevoir le sens du mot ou de la phrase qu’elle doit traduire.

Et c’est là que le bât blesse ! La traduction est une activité complexe et ne se résume pas à une suite de données statistiques.

« Ces machines sont bêtes. Elles ne comprennent rien aux phrases qu’elles traduisent, elles ont juste vu que telle phrase était souvent traduite de telle manière ».

Selon Pierre-Yves Oudeyer, les logiciels de traduction automatique sont encore loin de fournir des traductions de qualité

Pierre-Yves Oudeyer | Directeur de recherche en robotique et sciences cognitives à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

« Nous sommes encore loin, très loin, des degrés de performance et des capacités cognitives des humains et même des plus petits animaux... Une souris demeure encore plus intelligente qu’un ordinateur muni d’une intelligence artificielle ».

La traduction automatique n'est pas prête d'égaler les compétences de traducteurs humains, estime Yoshua Bengio

Yoshua Bengio | Professeur titulaire au département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’université de Montréal

Défis majeurs pour l’IA

En traduisant, le linguiste est confronté à bon nombre d’obstacles et doit faire appel à ses capacités cognitives pour les surmonter.

Le sens

Le traducteur doit impérativement comprendre le sens du texte original pour éviter les contresens (interprétation erronée d’une phrase ou d’un paragraphe) et déceler les ambiguïtés — voire les erreurs — présentes dans le texte source.

Or, l’intelligence artificielle ne comprend pas un traître mot du texte à traduire. Dès lors, comment fera-t-elle pour éviter les contresens et détecter les ambiguïtés ou les erreurs dans le texte source ?

Le style

Avant de commencer son travail, le traducteur doit déterminer le domaine du texte à traduire. S’agit-il d’un texte juridique ? D’une notice technique ? D’une brochure commerciale ? Bien entendu, il n’existe pas de traduction type : un document juridique ne se traduit pas de la même manière qu’un roman de science-fiction, par exemple. Le traducteur doit chaque fois adapter son style rédactionnel au domaine de spécialisation (du texte à traduire).

Prenons l’exemple de la traduction littéraire.

La traduction littéraire possède plusieurs sous-domaines. En plus de la traduction de romans, elle englobe également la poésie et le théâtre. Ces deux sous-domaines apportent des contraintes différentes au traducteur : la sonorité pour la poésie et le langage oral pour le théâtre. En outre, les traducteurs littéraires doivent être « transparents ». Ils doivent impérativement oublier leur propre style et embrasser celui de l’auteur.

Les traducteurs professionnels pourront surmonter ces obstacles grâce à leur créativité et leur inventivité. Mais qu’en est-il des machines ? Pour Christine Michaux, professeure de traduction et de terminologie, et doyenne de la faculté de traduction et d’interprétation de l’université de Mons, la traduction littéraire est peut-être une des seules solutions d’avenir du secteur face aux avancées technologiques.

La technologie remplacera progressivement le traducteur, mais le chemin est encore long. À l'exception de certains domaines plus créatifs comme le littéraire, la traduction pourrait être complètement automatisée. En effet, les contenus des textes deviendront de plus en plus répétitifs et seront donc enregistrés dans des bases de données. Mais nous en sommes encore loin.

Christine Michaux

Doyenne de la faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Mons

Le sous-texte

Sans nous en rendre compte, nous avons tendance à utiliser beaucoup de sous-entendus, de jeux de mots ou d’humour dans nos interactions. Les autres subtilités langagières telles que les références cachées, les références à l’actualité, et l’ironie pourraient également poser de sérieux problèmes pour l’intelligence artificielle. En effet, dû à son absence de capacité analytique, la machine éprouve énormément de difficultés à déchiffrer ces subtilités, et donc à les transposer dans une autre langue.

Encore une fois, seules la créativité et l’analyse approfondie du contenu permettront de surmonter ces contraintes. Or cette créativité et cette analyse du contenu ne font pas partie de l’apprentissage automatique supervisé propre aux logiciels de traduction automatique.

La structure

Une des tâches du traducteur consiste à déconstruire la structure de la phrase originale pour ensuite la reconstruire de façon naturelle dans la langue cible. En effet, les structures des phrases peuvent radicalement changer d’une langue à l’autre.

Comment la machine arrivera-t-elle à modifier complètement la structure d’une phrase afin de la rendre plus naturelle dans la langue cible ?

Le contexte

Une des grosses pierres d’achoppement de la traduction automatique est l’homographie. Certains termes s’écrivent exactement de la même façon, mais ont des significations totalement différentes. Comme le souligne Georges Misri, Maître de conférences émérite à l’université d’Alep :

Les énormes problèmes que posent l’homonymie et la polysémie à l’ordinateur sont tous résolus par le traducteur humain professionnel ; ce qui est réellement ambigu pour la machine ne l’est pas nécessairement pour l’homme. En effet, l’intelligence humaine étant largement plus développée que celle de l’ordinateur, le traducteur lève toute ambiguïté grâce à sa capacité de raisonnement qui permet de définir, cas par cas, l’information véhiculée par tel ou tel élément du texte de départ.

Georges Misri

Maître de conférences émérite à l’université d’Alep

En résumé, c’est le contexte qui va permettre de déterminer le sens des mots. Il paraît peu probable qu’une machine arrive, d’ici dix ans, à raisonner et comprendre le contexte.

La dimension humaine

Selon François Vermeersch, professeur de traduction et d’interprétation à l’université de Mons, et interprète freelance pour les institutions européennes, la traduction consiste à comprendre et restituer fidèlement l’intention de communication. Seul l’humain est capable de le faire.

Les risques liés à la traduction

Une mauvaise traduction peut avoir une incidence non négligeable sur la société. On dit souvent qu’un linguiste peut, à lui seul, provoquer une guerre à cause d’une simple erreur. Pour preuve, c’est une erreur de traduction qui a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale. Imaginez que les traducteurs et interprètes soient remplacés par des machines ! Même si, à l’avenir, celles-ci devaient donner un résultat satisfaisant dans 99,99 % des cas, la marge d’erreur empêchera l’humain de s’y fier totalement, surtout pour des domaines ultra-sensibles comme le juridique ou le médical.

L’évolution technologique nous pousse aussi à nous poser la question suivante : comment la population réagira-t-elle face au progrès ? Considèrera-t-elle que la technologie efface le contact social ? Il conviendra également de prendre en considération le temps que prendra la population pour s’adapter à ces nouvelles technologies…

En utilisant des outils tels que des logiciels de TAO, le traducteur a jusqu’à présent travaillé main dans la main avec la technologie. Cette collaboration donne de bons résultats (rapidité, mise en page, moindre coût, etc.). Selon nous, un mélange d’humanité et de technologie représenterait donc un bon compromis pour l’avenir.

L’humain et la technologie : un couple indissociable ?

La vérification humaine

Toujours selon François Vermeersch, la vérification humaine est et restera indispensable à une bonne traduction. À l’avenir, les logiciels de traduction automatique pourront peut-être garantir une traduction de qualité satisfaisante ou apparemment satisfaisante, mais l’œil humain devra faire au minimum un travail approfondi de relecture avant d’envoyer le produit fini au client.

La traduction est avant tout un moyen de communication pour l'humain. Malgré l'évolution technologique, le traducteur ne doit pas trop se soucier de l'avenir car une vérification humaine sera toujours nécessaire. Par contre, l'interprète devra penser à se diversifier. De plus en plus d'orateurs ont tendance à privilégier l'anglais à leur langue maternelle lors d'un discours. L'usage accru de la langue de Shakespeare pourrait menacer à terme la profession d'interprète.

François vermeersch

Interprète à la Commission européenne et professeur de traduction et d'interprétation à l'université de Mons

Quel avenir pour les traducteurs et les interprètes ?

L’avenir de la traduction ne semble pas si sombre, mais il est évident que le secteur va évoluer rapidement. Quels sont donc les éléments à prendre en considération ?

  • L’informatique : ce domaine occupe une place de plus en plus importante dans le processus de traduction. Les traducteurs devront très certainement apprendre à travailler prochainement avec de nouveaux outils informatiques.
  • L’innovation technologique : aidée par l’intelligence artificielle, elle automatisera encore davantage la traduction même si la vérification humaine restera indispensable.
  • La société : l’attitude de la population envers les langues étrangères sera un élément à prendre en considération, car cet aspect jouera certainement un grand rôle dans le futur de la traduction.

Conclusion

Dans sa chronique, Amid Faljaoui n’a pas tenu compte des différentes facettes du métier. Les traducteurs et les interprètes peuvent encore voir l’avenir positivement, car la machine n’est pas près de supplanter l’humain. Il ne faut cependant pas crier victoire trop vite. En effet, il est nécessaire de préparer l’avenir sur le long terme avec l’amélioration de la traduction assistée par ordinateur.

La technologie et ses avancées doivent être vues comme des alliées et non comme des ennemies, car, si elles peuvent certainement aider les linguistes dans leur travail, elles ne pourront probablement pas les remplacer.

Vous désirez obtenir une qualité de traduction fiable, convaincante et 100 % humaine ? Faites dès lors appel à l’intelligence humaine plutôt qu’à l’intelligence artificielle. 

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À propos de l'auteur

Raphaël

Passionné de communication et de webmarketing, Raphaël a créé Beelingwa en 2015 avec l'envie d'accompagner les entreprises de toutes tailles dans leur développement.

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